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« L’Odalisque brune » de François Boucher, cachez ce séant que je ne saurais voir.

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François Boucher, L’odalisque brune,  1745?, musée du Louvre.

Au XVIIIe siècle, bien que l’opposition académique persiste, la demande de petites peintures de cabinet va croissant. Un style nouveau, le style rococo, fait une place de choix à ce genre et impose de nouveaux sujets : Antoine Watteau crée la fête galante, sorte de scène sentimentale idéalisée ; François Boucher invente la pastorale dans laquelle il place des couples de bergers amoureux, richement vêtus, ou des nymphes et autres divinités, dans un paysage bucolique. La scène de genre prend donc un ton franchement profane et est chargée de pittoresque, d’exotisme et d’érotisme.
François Boucher est le parfait représentant de ce style rococo. Après une formation auprès de François Lemoyne, il remporte le Prix de Rome en 1720 et séjourne en Italie de 1727 à 1731. En 1734, il est admis à l’Académie Royale de peinture et de sculpture. Remarqué par la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV, il devient directeur de la manufacture des Gobelins et premier peintre du roi en 1765.

Si sa carrière connaît des succès officiels, il reçoit en revanche les critiques de Diderot et des encyclopédistes qui lui reprochent la facilité de sa technique et la frivolité de ses sujets.
Lorsque Boucher peint l’Odalisque brune, en 1745, il est un artiste très en vogue. Boucher aime représenter des scènes mythologiques ou pastorales, ainsi que des scènes de plaisir, qui renvoient aux mœurs dissolues de l’époque.

 

Une leçon d’érotisme

Ici, Boucher a peint sur un lit défait (constitué d’un amoncellement de coussins et de tissus), une jeune femme à moitié nue, allongée sur le ventre. Chemise relevée ou non tirée, elle tourne presque le dos au spectateur, mais tournant la tête vers lui, tout en exhibant son postérieur potelé. Elle réunit avant tout les traits singuliers de la mode sous le règne de Louis XV : teint laiteux, visage petit et potelé et corps généreux en courbes.
Le spectacle impudique du corps abandonné au désordre des étoffes confère un caractère délibérément licencieux à ce tableau. La position que Boucher a fait prendre à la jeune femme se veut aguicheuse, voire inconvenante. L’oeil est piégé par une habile construction géométrique : si l’on trace une première diagonale depuis le bas du tableau à droite, suivant la jambe gauche à demi repliée, jusqu’à la tête, puis une seconde depuis le coin supérieur droit, longeant le drapé bleu et se terminant dans le coin de la tablette, on trouve à l’intersection de ces deux lignes (le centre géométrique du tableau) le postérieur de cette odalisque. Ainsi, le fessier correspond parfaitement au centre géométrique du tableau, de manière malicieuse et un peu provocatrice de la part de l’artiste…
Le portrait de cette femme potelée, dans un salon au décor raffiné (objets de luxe – perles, cassolette en porcelaine, riche tapis, soieries…) s’inscrit bien dans le courant pictural rococo. La beauté du rendu des chairs et des diverses matières rend ce tableau presque poétique. Le rosé de la peau et la blancheur de la chemise contrastent savamment avec le bleu profond de l’étoffe en velours, et avec le gris bleu des draps et drapés sous le corps. Un rose foncé et un rose orangé viennent rehausser l’ensemble – plumes qu’elle porte sur la tête et début du tapis -.

Tout le tableau est fondé sur le pli (1) : pli à la fesse, pli au cou selon le même « Y », pli de l’étoffe de velours bleu, pli du tapis, que le pied de la table vient d’agripper lorsque la jeune femme l’a approchée d’elle. Le pli s’oppose à la régularité géométrique du mur et des coussins carrés au fond. Le pli fait scène et apporte à l’oeil une certaine satisfaction. La jeune femme se retourne, surprise, dérangée par le spectateur. Celui-ci pénètre dans un espace intime qui ne lui était pas destiné… Comme elle se retourne vers nous, de spectateurs nous voici devenus voyeurs malgré nous. Il s’agit bien d’une mise en scène qui théâtralise ce moment d’attente, d’invitation ou d’intimité, avec une composition savamment orchestrée par le peintre. Derrière cet appel au voyeurisme et cette leçon d’érotisme, Boucher fait aussi un hymne à la beauté, et nous immerge dans un monde où la jouissance est le maître mot : jouissance du corps, des textiles, des objets, mais également de l’art de peindre.

 

Un exotisme de boudoir

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Claude Duflos (graveur), Sultane lisant au harem, d’après F. Boucher, pour les Moeurs et Usages des Turcs, 1746.

Le titre évoque l’Orient des harems, objet de fascination érotique pour les peintres. Les odalisques étaient les femmes vivant dans un harem en Orient, qui fournissaient aux peintres galants le prétexte rêvé pour traiter des nus féminins chargés de sensualité et de volupté. Boucher accentue les influences orientales du thème dans son traitement de l’exotisme décoratif du boudoir.
Le décor rappelle l’Orient avec ses soieries aux reflets chatoyants, le paravent vert chinois (à l’arrière plan) et une cassolette débordant de bijoux posée sur la table.

Les coussins, la table basse, le paravent et l’aigrette sont des allusions aux harems de la Turquie ottomane. Les cheveux de la jeune femme sont retenus par un tissu évoquant un turban, qui lui donne des allures de courtisane orientale. Au milieu de tous les objets précieux et exotiques qui l’entourent, elle se trouve elle aussi assimilée à quelque luxueuse babiole… On retrouve ici le « fantasme du harem » qui inspirera de nombreux peintres. En effet, cet exotisme à la turque était très à la mode au XVIIIe siècle, comme en témoigne le tableau de Nattier, Mademoiselle de Clermont à son bain.

Dans la littérature, on traduit à la même époque les Mille et une nuits (2) ; et les Lettres persanes de Montesquieu sont publiées en 1721…

 

Un nu novateur

Cette odalisque est caractéristique « des nus roses et pulpeux » de Boucher. Les nus sont des tableaux très importants dans son oeuvre, en rupture avec la hiérarchie des genres. L’Odalisque brune n’est ni un portrait, ni un personnage mythologique. Boucher avait déjà peint des femmes nues, mais dans un contexte mythologique, comme c’est le cas de Léda et le Cygne (1742, Stair Sainty Gallery, New York) ou encore de sa Diane sortant du bain (musée du Louvre).

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François Boucher, Diane sortant du bain, 1742, musée du Louvre.

Mais ici, il s’agit d’un nu très érotique sans substrat historique. Ainsi, on pourrait classer ce tableau parmi les scènes de genre. Boucher a eu une activité très féconde en tant que peintre de genre, avec une clientèle la plus large possible. Il s’agit peut-être d’une commande ou bien c’est le peintre lui-même qui a décidé de ce sujet pour capter une certaine clientèle. Il s’agit peut-être d’une illustration d’une certaine littérature érotique, correspondant à l’époque au courant libertin (on pense à des auteurs tels que Diderot ou Crébillon (3).

Jean-Honoré Fragonard, en 1763-64, peindra ses Baigneuses (4) ; puis ce sera Goya, avec sa Maja desnuda (1797-1800) (5) ; et enfin Edouard Manet, avec son Olympia de 1863 (6). Mais c’est bien Boucher le premier qui rompit ce « pacte » de la hiérarchie des genres.

 

Un modèle controversé

Le visage de la jeune femme, minutieusement rendu, semble un portrait. Pourtant, on ignore qui elle est. Très vite, on susurre qu’il s’agit de Madame de Pompadour ? Mademoiselle de Saint Gratien ? Ou encore, de Marie-Louise O’Murphy (de Boisfaily), jeune maîtresse de Louis XV. Diderot y verra la propre épouse de Boucher, Marie-Jeanne Buzeau (1716-1796), qu’il épousa en 1733, considérée à l’époque comme la plus belle femme de Paris. Cette séduisante jeune femme posait souvent pour son mari, ce qui, même dans la société permissive du XVIIIe siècle, fit parfois scandale.
L’aversion du philosophe Diderot pour Boucher était telle, qu’il reprochera à l’artiste d’avoir prostitué sa femme (7) ! Mais rien ne permet d’affirmer qu’elle ait servi de modèle pour ce tableau. Il n’a pas de mots assez durs pour fustiger l’art de Boucher… Si Boucher est si apprécié de la noblesse, et si peu des philosophes, c’est plutôt parce que ses oeuvres représentent ce qu’ils exècrent: la légèreté et la frivolité. Ce tableau est décliné en deux exemplaires : une femme brune qui est exposé au Louvre et une femme blonde, qui serait le portrait de l’une des maîtresses de Louis XV, exposé à l’Alte Pinakothek de Munich (8).

Boucher portrait présumé de Marie-Louise O' Murphy
François Boucher, L’Odalisque blonde, portrait présumé de Mademoiselle O’Murphy, 1752, Alte Pinakothek, Munich.

Les années passant, l’intérêt pour Boucher déclinera, avec l’arrivée du néoclassicisme, qui l’accuse d’avoir introduit un genre fade et maniéré… On critique également le mélange des genres chez ce « peintre d’histoire » qui donne dans la joliesse et oublie le beau, dans la galanterie et la frivolité à la place du sérieux et de la morale. Démodé, mais clairvoyant, il aura l’intelligence de confier son élève à Joseph Marie Vien, le célèbre Jacques-Louis David.

 

(1) Selon le critique Stéphane Lojkine.

(2) La première traduction française est l’oeuvre d’Antoine Galland publiée de 1704 à 1717.

(3) Claude-Propser Jolyot de Crébillon (1707-1777)

(4) Musée du Louvre.

(5) Musée du Prado, Madrid.

(6) Musée d’Orsay.

(7) Diderot, qui s’y connaissait en matière de galanterie, écrira pourtant la tirade suivante à propos du salon de 1767 et de l’exclusion d’un Jupiter et Antiope : « Car enfin, n’avons-nous pas vu au Salon, il y a sept à huit ans, une femme toute nue, étendue sur des oreillers, jambes deçà, jambes delà, offrant la tête la plus voluptueuse, le plus beau dos, les plus belles fesses, invitant au plaisir, et y invitant par l’attitude, la plus facile, la plus commode, à ce qu’on dit même la plus naturelle, ou du moins la plus avantageuse. Je ne dis pas qu’on en eût mieux fait d’admettre ce tableau et que le comité n’eût pas manqué de respect au public et outragé les bonnes mœurs. Je dis que ces considérations l’arrêtent peu, quand l’ouvrage est bon. Je dis que nos académiciens se soucient bien autrement du talent que de la décence. N’en déplaise à Boucher qui n’avait pas rougi de prostituer lui-même sa femme d’après laquelle il avait peint cette figure voluptueuse […] »

(8) Deux versions de ce tableau nous sont parvenues, toutes deux conservées en Allemagne, l’une dans les collections de l’Alte Pinakothek de Munich, l’autre dans les collections du Wallraf-Richartz Museum de Cologne.

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Auguste Clésinger (1814-1883), Femme piquée par un serpent, 1847

Couvrez cette cellulite que je ne saurais voir !

 

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Auguste Clésinger (1814-1883), Femme piquée par un serpent, 1847, statue en marbre, Paris, musée d’Orsay.

Qui donc s’est dévêtue pour cette Femme piquée par un serpent qu’Auguste Clésinger présente au Salon de 1847, où elle ne fait pas moins scandale que les Romains de la décadence de Thomas Couture ?

Cette œuvre a en effet fait l’objet d’un double scandale, artistique et mondain.

 

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Les visiteurs sont choqués parce qu’ils voient très bien dans cette pseudo Cléopâtre, convulsée de plaisir, et non de douleur, la femme fort connue qui a servi de modèle. Il s’agit de la demi-mondaine Apollonie Sabatier (1822-1890).

 

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L’oeuvre exposée au musée d’Orsay face à l’Olympia de Manet, à l’occasion de l’exposition « Splendeurs et misères. Images de la prostitution 1850-1910 » du 22 septembre 2015 au 17 janvier 2016.

 

Cette beauté parisienne a séduit le tout Paris littéraire : d’Alexandre Dumas à Théophile Gautier, d’Alfred de Musset à Charles Baudelaire, en passant par Hector Berlioz. Elle aurait même inspiré certains des poèmes des Fleurs du Mal. Ses amis la surnommaient « la Présidente » d’après un mot attribué à Edmond de Goncourt : sa beauté et son intelligence lui avaient en effet octroyé le droit de présider à un dîner chaque dimanche. Elle se prétendait fille d’un haut fonctionnaire de l’administration, mais aurait été en réalité la fille d’une lingère et d’un père inconnu. Installée à Paris où elle tenait salon, elle a transformé son patronyme afin de lui ôter sa connotation de « savate » (1). Elle a aussi changé de prénom, adoptant celui d’Apollonie.

 

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La Présidente peinte par Vincent Vidal (1811-1887), musée national du château de Compiègne. 

 

Entretenue depuis ses 16 ans par un homme d’affaires franco-belge, Alfred Mosselmann (2), qui a commandité l’œuvre, cette amante qui défraye la chronique est là, toute nue, avec sa cellulite sur la haut des cuisses que le sculpteur aurait dû gommer pour transfigurer son modèle en allégorie. Mais au contraire, il n’a pas hésité, pour en imprimer l’aspect dans le marbre, à la mouler au préalable sur nature. L’utilisation directe du moulage sur nature pour une sculpture était violemment contestée au XIXe siècle, induisant l’absence de travail et de probité de l’artiste. A ce corps réaliste sont associés à des éléments plus conventionnels : le visage idéalisé moins expressif, le socle couvert de fleurs…

Clésinger entretenait soigneusement d’excellentes relations avec Théophile Gautier, qui orchestra le scandale. Avec cette sculpture plus réaliste qu’antique, Clésinger annonce sur la scène des Arts l’entrée des femmes galantes, ces femmes qui vont remplacer les reines et les déesses des allégories.

 

 

 

(1) Aglaé Joséphine Savatier de son vrai nom, est née à Mézières le 7 avril 1822 et est morte à Neuilly-sur-Seine le 3 janvier 1890.

(2) Sa relation avec Mosselman, qui dure quatorze années, est également immortalisée dans le très célèbre tableau de Gustave Courbet, l’Atelier du peintre, où les deux amants sont représentés parmi d’autres personnages. Après la mort de ce dernier, elle a entretenu avec Sir Richard Wallace, donateur des fontaines Wallace, une longue liaison qui a encore accru sa richesse.

 

 

Sur l’oeuvre: notice site du musée d’Orsay

Sur la vie d’Apollonie Sabatier: article de Les Petits Maîtres

A lire:

  • Catalogue de l’exposition « Splendeurs et misères. images de la prostitution 1850-1910« , R. Thompson, N. Bakker, I. Pudermacher et M. Robert (dir.), musée d’Orsay/Flammarion.
  • ABéCéDaire de la prostitution, I. Pludermacher, C. Dupin, musée d’Orsay/Flammarion.

A regarder:

« Cocottes et courtisanes dans l’oeil des peintres« , un documentaire de Sandra Paugam, Arte éditions, 2015.

 

Arrêt sur image, Une vie, une oeuvre

Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783), sculpteur de grimaces

Messerschmidt l'homme de mauvaise humeur
Franz Xaver Messerschmidt, L’homme de mauvaise humeur, entre 1770 et 1783, plomb, musée du Louvre. Crédits: Franz Xaver Messerschmidt – Musée du Louvre / Pierre Philibert

Vous avez certainement déjà vu, en photographie ou au Musée du Louvre, cette tête de caractère (1). Mais connaissez-vous vraiment Franz Xaver Messerschmidt ? Son œuvre est restée longtemps confidentielle et seuls les historiens de l’art et les amateurs de curiosités s’y intéressaient de près. Ce sculpteur né en 1736 et mort en 1783 doit sa gloire posthume à l’étonnante série de têtes de caractères qu’il a réalisées à la fin du XVIIIe siècle dans le secret de son atelier, et retrouvées après sa mort.

Rien de comparable n’existe dans l’histoire de l’art. D’autant que cet ensemble de spécimens témoigne d’une idée vraiment extravagante.

Qui était-il ?

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Franz Xaver Messerschmidt, L’artiste tel qu’il s’est imaginé en train de rire – Crédits: Bruxelles, Photo d’Art

Professeur-adjoint à l’Académie royale de Vienne et portraitiste des cercles aristocratiques et intellectuels vivant dans la capitale autrichienne, Franz Xaver Messerschmidt développe son art à son retour d’Italie, en 1766, en s’appuyant sur une riche tradition et une grande virtuosité technique.

Après un court séjour en Bavière, il s’installe définitivement en 1777 à Presbourg (actuelle Bratislava). C’est dans cette ville qu’il développe cette production de 69 têtes sculptées – qu’il avait initiée auparavant –, appelées après sa mort « têtes de caractère ». Exécutées en métal (un alliage fait majoritairement avec de l’étain et/ou du plomb) et en albâtre, ces têtes, exclusivement masculines et correspondant à différents âges, sont strictement frontales et surmontent l’amorce d’un simple buste. La représentation de l’expérience émotionnelle, la fidélité avec laquelle l’artiste rend l’expression du visage (yeux grands ouverts ou fermés par des paupières serrées, bouches grimaçantes, traits crispés) sont impressionnantes de maîtrise. Sans titre, sans signature et sans date, ces Kopfstücke ne semblent pas destinées à être vendues. Des noms leur seront arbitrairement donnés après le décès de l’artiste : L’Homme qui bâille, Un homme sauvé de la noyade, Un scélérat, L’Odeur forte

 

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Gravure représentant 49 des têtes de caractères réalisées par l’artiste

Pour bien comprendre l’originalité du sculpteur germano-autrichien Franz Xaver Messerschmidt, il convient de replacer son œuvre dans le contexte des préoccupations de l’époque. C’était le temps où, à travers la physiognomonie, Johann Kaspar Lavater (2) se faisait fort de discerner les liens unissant aspects du visage et traits de caractère, tandis que Franz Joseph Gall prétendait localiser grâce à la phrénologie – études des aspérités du crâne – les différentes fonctions de l’activité cérébrale. Ces rapports avaient été supposés depuis l’Antiquité, avec Aristote qu’on dit avoir été le premier à opérer ce type de rapprochement.

Ces recherches s’apparentaient, mais de manière beaucoup plus extrême, à celles de Charles Le Brun, premier peintre du roi Louis XIV, sur l’expression des passions.

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Charles le Brun, Expressions des passions de l’âme, 1727. Planche XIII Le pleurer
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Charles le Brun, Expressions des passions de l’âme, 1727. Planche XVII L’Effroy

C’est la fréquentation de son ami, le docteur Franz Anton Mesmer (1734-1815), qui avait le plus influencé Messerschmidt. La bandelette posée sur ses lèvres serait une allusion aux expériences sur le magnétisme et l’hypnotisme auxquelles se livraient Mesmer. L’artiste s’inspira d’expressions de patients de ce fameux médecin, qui les traitaient à coups de baguettes métalliques. Celles-ci étaient censées évacuer les fluides magnétiques qui encombraient le corps de ses patients. Messerschmidt avait été impressionné par la souffrance provoquée chez les malades physiquement et mentalement.

Le sculpteur classique avait-il perdu la raison, ou bien avait-il voulu établir un catalogue d’expressions répondant à des stimuli internes ou externes ?

C’est un article écrit par l’historien d’art freudien Ernst Kris publié en 1932 (traduit en 1979 dans L’Image de l’artiste, avec pour coauteur Otto Kurz) qui fondera la notoriété internationale de Messerschmidt. S’autorisant de l’interprétation psychanalytique de documents et d’œuvres d’art qu’avait pratiquée Freud, il diagnostique la pathologie psychique dont souffre Messerschmidt à partir des « têtes de caractère » qui ont été en grande partie conservées et de la relation d’une visite en 1781 à l’artiste par l’homme de lettres Friedrich Nicolai, partiellement traduite pour la première fois dans le catalogue de l’exposition du musée du Louvre (3) :

« … Il se pinçait, faisait des grimaces devant le miroir et croyait que sa façon de maîtriser les esprits avait les effets les plus admirables. Heureux d’avoir découvert ce système, il avait décidé de le transcrire, en reproduisant ces proportions grimaçantes et de les transmettre à la postérité. Il existait à son avis soixante-quatre grimaces différentes. Il avait déjà achevé, au moment où je lui rendis visite, soixante têtes différentes ; elles étaient soit en marbre, soit dans un alliage d’étain et de plomb. […] Toutes ces têtes étaient des autoportraits. »

Il meurt dans l’actuelle Bratislava en 1783, vraisemblablement d’une pneumonie.

 

 

 

 

 

 (1) La Tête du Louvre fit partie à Vienne de la collection de Richard Beer-Hofmann (1866 – 1945). Ayant figuré au musée historique de Vienne depuis 1939, elle fut restituée en 2003 aux héritiers du collectionneur dont les biens avaient été confisqués par les nazis.

(2) Théologien suisse allemand, Lavater dans L’art de connaître les hommes par la physionomie affirmait que si les traits du caractère étaient liés à ceux du visage, ils étaient aussi localisés dans différentes parties du cerveau.

(3) En 2011, le musée du Louvre à Paris présenta une exposition monographique qui faisait état de l’avancée des recherches sur l’œuvre de ce sculpteur hors norme Elle a eu lieu du 28 Janvier 2011 au 25 Avril 2011, a été la première exposition organisée en France sur cet artiste. Guilhem Scherf fut le commissaire de l’exposition.

Sources :

Jean-François POIRIER, « MESSERSCHMIDT FRANZ XAVER – (1736-1783) ». In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, consulté le 8 juin 2016.

Sherf &M. Pötzl-Malikova dir., Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783), catal. expos., éditions du musée du Louvre-Officina libraria, Paris-Milan, 2010.

Emission du 22.02.2011 « Les Mardis de l’expo » d’Elisabeth Couturier, France Culture.

 

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– FALCONET, FRAGONARD ET L’AMOUR DISCRET –

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Etienne Maurice Falconet (1716-1791), L’Amour menaçant, marbre, musée du Louvre.

 

Cette statue, exposée au Musée du Louvre, a été réalisée par le sculpteur français Etienne Maurice FALCONET (1716 – 1791). En prise avec l’univers amoureux, cette oeuvre est très représentative de l’époque du peintre Jean-Honoré Fragonard (1732-1806).

Commandée par la marquise de Pompadour, elle fut exposée au Salon de 1757, où le succès fut au rendez-vous. Elle orna les jardins de l’hôtel d’Évreux, futur palais de l’Élysée, demeure parisienne de la marquise.

Grâce à son Milon de Crotone, Falconet est nommé membre de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1754. Les diverses sculptures qu’il expose aux Salons de 1755 et 1757 en font le sculpteur le plus en vue de l’époque. Artiste très fin, intelligent, il est également un théorien, et fut l’un des collaborateurs de l’Encyclopédie: Diderot lui confie la rédaction de l’article « Sculpture« . Tout cela se voit dans la réalisation de cette œuvre puisqu’il s’agit d’un petit Amour à la fois espiègle, menaçant et discret, d’où son titre, « L’Amour menaçant ». L’Amour est assis sur un petit monticule, il dissimule son carquois, il est prêt à titrer une flèche ; alors qu’il fait le signe du silence, en pointant son doigt devant ses lèvres. En cela, il s’agit de la Divinité tutélaire des libertins puisqu’une des grandes idées du libertinage est d’avoir une stratégie, une manière d’aborder l’amour, une sorte de plan de bataille ; et en même temps, il s’agissait de le faire avec beaucoup de discrétion.

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Détail de l’oeuvre précédente

 

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Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), Les Hasards heureux de l’escarpolette, 1767-1769, huile sur toile, 81 x 64 cm. Wallace Collection, Londres.

 

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Fragonard, Les Hasards heureux de l’escarpolette, détail

L’idée de reproduire cette sculpture dans un tableau, ce que Fragonard va faire plusieurs fois, notamment dans son célèbre tableau Les Hasards heureux de l’escarpolette, il la doit à son confrère Pierre-Antoine Baudouin (1723-1769), très grand dessinateur et miniaturiste du XVIIIème s., qui s’est fait une spécialité de la représentation de scènes de la vie libertine. Dans les années 1765-1766, Baudouin réalise une gouache, intitulée La Nuit, qui représente un marquis et une marquise sur le point de consommer leur amour dans un jardin au pied de cette statue. Cette dernière a un effet de réel : elle évoque véritablement le quotidien de l’élite sociale de l’époque de Fragonard ; elle a également un effet symbolique très fort, car on sait qu’elle représente l’Amour, que pratiquent les libertins.

 

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Pierre-Antoine Baudouin, La Nuit, Metropolitan Museum of Art.

L’Amour menaçant de Falconet serait-il en quelque sorte un mode d’autoportrait de Fragonard ? A la fois, l’artiste se désigne, il désigne la feinte, mais n’en donne pas le sens complètement, afin que nous restions dans le jeu. Il est l’artiste du Verrou (Musée du Louvre), nous avons la clef, mais qui ne va pas forcément avec la bonne serrure ! En cela, c’est un artiste extrêmement stimulant, c’est un des aspects qui ont fait le génie : un savoir-faire, une technique, une poésie extraordinaire, mais il y a aussi un jeu avec le sens de ces images, indéfiniment délectables… Nous serons toujours prêts du sens, mais jamais complètement à l’approche du sens, car il se dérobe.

 

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Jean-Honoré Fragonard, Le Verrou, vers 1777, Paris, musée du Louvre.